La résilience, concept omniprésent et fourre-tout, a profondément imprégné la production littéraire contemporaine. Plus qu’une simple popularisation du concept, les productions littéraires l’ont illustré, l’incarnant au travers de récits et de fictions. Cet article explore la manière dont « capitalisme thérapeutique » a affecté l’imaginaire littéraire. Les œuvres, à leur manière, promouvant une vision du monde qui nous incite à devenir les gestionnaires autonomes de nos existences.

Faire du bien — Une mission, pas si nouvelle, qu’assure désormais l’industrie culturelle. Auparavant, cette dimension thérapeutique se trouvait induite par le divertissement inhérent à l’industrie, le divertissement, en tant que tel, permettant alors la perpétuation d’un certain ordre, trouvant dès lors une place de choix dans l’alternance du travail et du repos. Par ce loisir, pur produit de l’industrie culturelle, on oublie, on s’oublie. Palliatif aux existences destinées au travail, favorisant un (tout relatif) bien-être.

Rien de nouveau donc ? À ceci près que la volonté de faire du bien n’est plus simplement implicite, voire induite par le divertissement ; elle est revendiquée. On veut faire du bien aussi bien au consommateur que la société dans son ensemble. Ainsi voit-on des slogans antiracistes, notamment, fleurir des ans les stades et les retransmissions de matchs de football ; nombre de fictions se soucient de représenter positivement les personnages féminins ; il y a également ces récits de rédemption personnelle qui parsèment tant de best-sellers.

L’industrie culturelle ne se contente donc plus de divertir — avec tout ce qu’implique cette fonction — elle veut se présenter comme une force réparatrice, militante, soucieuse du bien-être collectif. Elle se penche au chevet de vos souffrances, milite et travaille le terrain pour que vous viviez dans un monde meilleur !

De tels gestes et perspectives sont tout à fait assumés ; rien de philanthropique là-dedans pour autant, un business plan avant toute chose. Se nimber d’une image positive, mais également (surtout ?) inclure tout le monde et ainsi toucher le plus grand public possible. On n’invente ni le fil à couper le beurre ni l’eau chaude. Mais ce qui ressort de tout ça, d’oblitérer d’autant plus le caractère éminemment idéologique du divertissement, dont les formes, sous ces nouveaux auspices, n’ont pas fondamentalement changé. Sa fonction sociale n’a pas changé.

Une partie du public se plaint de la moralisation du divertissement. On peut comprendre ces réactions, sans pour autant justifier les débordements racistes ou misogynes qui relèvent souvent du complotisme, comme l’idée que l’industrie culturelle serait acquise au gauchisme et au wokisme. Le public sait bien que le divertissement a un effet anesthésiant, voire amnésiant. Il n’est pas dupe de sa fonction palliative. Mais quand des questions sociales viennent perturber ce divertissement, cela brise cet accord implicite. Ce qui est encore plus frappant, c’est que ces nouvelles valeurs revendiquées par l’industrie culturelle sont perçues comme idéologiques, renforçant par-là l’illusion d’un divertissement considéré comme neutre d’un point de vue idéologique.

Si de telles tendances se manifestent avec force dans le cinéma, le sport ou le jeu-vidéo, elles imprègnent également le monde de la littérature1, même les œuvres les plus légitimées se parent désormais d’une mission thérapeutique. Il s’agit pour une large partie de la production littéraire de donner le change au positif. L’essai d’Alexandre Gefen Réparer le monde [2017, José Corti] illustre cette tendance générale, selon lui, la production littéraire contemporaine nous inviterait « à penser moins en termes de sens et d’herméneutique que d’effets thérapeutiques. »2

Les thuriféraires de la pureté littéraire, de la littérature comme essence, ont de quoi se faire les dents. Vérifiant une fois de plus le fait que les réactionnaires sont paradoxalement ceux qui sont le mieux collés à leur époque. Ils en oublient même que la manière dont ils appréhendent la littérature est une conception historiquement datée, assez récente qui plus est, naturalisation de la manière dont a été appréhendée la littérature à partir du XIXème siècle.3 Ne nous soucions donc pas d’eux et laissons-les prêcher à leurs chapelles — dont la fréquentation est massive, reconnaissons-le.

Que la littérature — et plus généralement l’industrie culturelle qui la subsume — se dote ainsi de curatives vertus me semble consubstantiel de l’évolution du savoir thérapeutique. « Autre pouvoir, autre savoir »4, le soin psychologique n’échappe bien évidemment pas à la règle. Ainsi les années 80 ont vu l’émergence de ce que nous nommerons le « capitalisme thérapeutique »5, c’est-à-dire une forme de savoir thérapeutique claquée sur les exigences de l’organisation sociale néo-capitaliste. Le soin recoupant l’adaptation, à marche forcée parfois, des individus à ce cadre éminemment capitaliste au sein duquel nous évoluons.

Il s’agira donc pour nous, lors de cette première analyse, d’explorer un pan de cette littérature qui nous semble avoir émergé consécutivement au « capitalisme thérapeutique ». En effet, nous n’appréhendons pas la littérature comme essence, détachée des conditions sociales et matérielles de sa production. Les auteurs ou les instances impliquées dans la production de la littérature étant à considérer comme « fonction complexe et variable du discours ».6 En d’autres termes, les œuvres littéraires reprennent en charge, d’une manière ou d’une autre l’ensemble des discours (politiques notamment) traversant l’espace social.

Et parmi l’un de ces grands discours il y en a un, en particulier qui nous intéressera, celui autour du concept de résilience, advenu depuis les années 90 et qui ne cesse de se renforcer, nombre de productions littéraires récentes n’étant pas étrangères au renforcement de ce concept dans l’espace public.

I. Résilience, concept clé du capitalisme thérapeutique

Résilience, le concept s’est douillettement installé dans le vocabulaire le plus commun. Avant de déterminer les implications de la généralisation d’un tel usage, il me semble qu’une petite étymologie est nécessaire. Notons qu’il s’agit d’un emprunt à l’anglais. Première occurrence ? Francis Bacon, il en use pour en vue de désigner la manière dont l’écho « rebondit »7. Depuis lors, on retiendra cette idée de « rebond », tant littéralement que métaphoriquement, en faisant référence à la capacité de certains matériaux à résister aux chocs. Ce n’est qu’à partir de 1830 que l’adjectif resilient sera appliqué aux êtres humains, désignant alors la capacité d’une personne à rebondir à la suite d’une difficulté. Un tel usage commencera à se répandre, en France, à partir du XXème siècle.8

Il est important, de prime abord, de distinguer cet usage lâche plutôt général(isant) du terme — désignant donc une « force morale ; [la] qualité de quelqu’un qui ne se décourage pas, ne se laisse pas abattre »9 — du sens qu’il a pris au cours de ces dernières décennies. En effet, à partir des années 1950 le terme sera repris par le champ de la recherche en psychologie, tout un ensemble d’études va tenter de déterminer comment et pourquoi face à un même stress environnemental certaines personnes restent en « bonne santé » et d’autres non, sans déboucher sur aucun consensus scientifique, au sein même de la discipline.

Pour autant, le concept ne cessera de prendre de l’ampleur. Pour comprendre les raisons de cette popularisation, il est essentiel de revenir sur le tournant opéré dans les disciplines thérapeutiques avec l’essor des approches cognitivo-comportementales dans la seconde moitié du XXe siècle, qui ont progressivement supplanté la psychanalyse. Ce changement est particulièrement perceptible dans les institutions de soin en France à partir des années 1980. Le savoir thérapeutique s’est alors déplacé de l’injonction à l’introspection coupable, centrale dans la psychanalyse, vers une gestion des symptômes10. À travers des méthodes thérapeutiques standardisées et rapides, les individus sont désormais invités (incités?) à devenir les gestionnaires autonomes de leur propre existence, envisagée comme un projet à réaliser par le développement de compétences spécifiques. Les soignés sont ainsi amenés, via des entretiens motivationnels, à un « réajustement progressif et vigilant de soi ».11

Dans ce nouveau cadre thérapeutique, le concept de résilience est devenu à fourre-tout bien commode. L’incontournable APA [American Psychological Association] qui développe et met à jour le DSM [Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders]12 définit la résilience à la fois comme un processus et un résultat, la résilience consisterait en l’adaptation réussie à des expériences de vie difficiles ou éprouvantes. Cette résilience s’opérerait grâce à une flexibilité mentale, émotionnelle et comportementale ainsi que l’ajustement aux exigences externes et internes. La notice conclut, après avoir énuméré 3 facteurs contribuant à l’adaptation à l’adversité, en soutenant que la recherche en psychologie démontre que les ressources associées à une plus grande résilience peuvent être cultivées et pratiquées.13

Arrêtons-nous d’abord sur les termes employés pour décrire ce concept, tout d’abord que la notice qualifie certaines expériences de vie de difficiles, mais également de « challenging » que nous avons choisi de traduire par éprouvantes en vue de garder l’idée de l’épreuve ou du challenge, idée qui me semble centrale pour appréhender adéquatement cette notion de résilience dont le caractère est éminemment idéologique. Ainsi se trouve sous-tendue l’idée de démontrer des aptitudes. Dans cette lignée on notera la présence d’au moins 3 termes qui appréhendent la personne résiliente comme variable au travers de compétences ou de capacité [adaptation, flexibilité, ajustement] qu’il serait donc tout à fait possible de développer en vue de mettre en œuvre ce processus (et/ou d’accéder au résultat) de la résilience.

À l’instar de certains concepts issus de la psychanalyse qui ont profondément imprégné les discours — en son temps, et avec toutes les critiques que l’on peut émettre à leur encontre, Gilles Deleuze et Félix Guattari avaient évoqué une œdipianisation de l’inconscient — la résilience peut-être considérée comme l’un des avatars des théories néo-comportementalistes. Une fois repris dans les livres grand public, il n’est guère étonnant de constater que le concept désigne non seulement « la capacité de résister à des situations traumatiques [mais surtout] la possibilité de transformer un traumatisme pour en faire un nouveau départ ».14 On élaborera tout un ensemble de « recettes » en vue de mettre en œuvre ce processus de résilience. De telles perspectives vont alors au mieux ignorer les souffrances et les injustices inhérentes à l’organisation sociale, au pire les appréhender comme autant d’opportunités en vue de les dépasser et par là même se dépasser, en renforçant sa personnalité par le développement de stratégie —plus ou moins efficients sur le court terme — qui permettent in fine de s’adapter et de devenir partie prenante de la concurrence généralisée exigée au sein du système capitaliste.

La résilience est dès lors un instrument idéologique des plus redoutables, l’aliénation et l’exploitation ne constituent plus un problème, mais bien une simple étape vers un soi-disant épanouissement personnel, annihilant toute velléité de contestation. La notion de « fausse conscience » trouve ici une expression évidente : les individus sont invités à voir dans leur aliénation une opportunité, plutôt qu’une condition à abolir.

À cet effet, les portraits qui ont été faits lors des derniers Jeux Paralympiques sont édifiants. L’accent est le plus souvent mis sur la manière dont les athlètes ont surmonté leurs difficultés et triomphé grâce à leur résilience personnelle. Mais quid de ces difficultés justement ? À quoi sont-elles dues ? N’est-ce pas avant toute chose notre organisation sociale validiste qui empoisonne la vie de ces personnes considérées alors comme in/valides. Et on parle de toutes celles et tous ceux laissés sur le carreau ? Cette célébration de la résilience déplace ainsi la responsabilité du système social vers l’individu, tout en renforçant l’idée que le « succès » ne dépend que de l’effort personnel et non d’une remise en cause des inégalités structurelles.

À l’instar de la manière dont la psychiatrie15 puis la psychanalyse ont affecté la production littéraire du début puis du milieu du XXème siècle, les théories néo-comportementalistes vont à leur tour durablement affecter la production littéraire. Le concept de résilience qui en est la cristallisation va donner naissance quant à lui à un type de littérature spécifique : les feel-good books. Ces œuvres, en appelant à une résilience personnelle face aux défis de la vie, reflètent et perpétuent l’idée que la solution aux problèmes sociaux réside dans le capitalisme thérapeutique plutôt que dans la transformation des structures de pouvoir.

II. Des livres qui font du bien, mais à qui ?

Le fait que la littérature se soit emparée massivement du concept de résilience n’est guère étonnant dans la mesure où cette notion est aisément assimilable par et applicable aux schémas narratifs les plus convenus. Quoi de plus commun, dans les récits littéraires, que des quêtes initiatiques mettant en scène un personnage quelconque se trouvant confronté à une série d’épreuves desquelles il parvient à triompher ? Ainsi la greffe du capitalisme thérapeutique n’a pu s’opérer que de manière plus aisée.

Ces affirmations ne suffisent bien évidemment pas ; il est crucial de saisir certains mécanismes à l’œuvre pour comprendre comment de tels phénomènes se manifestent concrètement. Dans cette optique, nous devons nous pencher sur la structuration du marché littéraire et sur la manière dont celui-ci influence la production des œuvres, qu’elles soient à visée commerciale ou non. La littérature n’est pas isolée du monde capitaliste ; elle n’échappe ni à la standardisation ni à ce que Bruno Astarian appelle la normalisation de sa production. C’est par ce biais que les conceptions issues de ce capitalisme thérapeutique ont infusé l’ensemble de la production littéraire au cours des 20 dernières années. Pour en saisir pleinement les implications, il est nécessaire d’examiner l’écosystème littéraire dans son ensemble.

II.1 Circuits de standardisation de la production littéraire

Comme l’ont noté d’éminents chercheurs tels que Dominique Viart16, les années 1980 ont marqué un retour de la transitivité17 en littérature. Faisant suite aux différentes expériences formelles des années 1960 et 1970 où, pour le dire rapidement, le curseur n’était pas porté sur l’histoire, mais l’écriture même de l’œuvre.

Loin d’être spontané ou d’être l’initiative créatrice d’écrivain·e·s, ce tournant transitif me semble recouper la médiatisation des œuvres et donc la manière dont elles sont promues sur le marché va également subir une mutation majeure. L’émission « littéraire » Apostrophe, dont le premier numéro date du 10 janvier 1975, affectera durablement le champ éditorial français. Si en 1976 la prescription littéraire était dominée par la presse écrite, à partir de 1980 l’émission Apostrophe, à elle seule, « influence 36 % des motivations d’achat des lecteurs »18. Des chiffres encore valides aujourd’hui, malgré la disparition d’Apostrophes, cette dernière ayant simplement été remplacée par des équivalents tels que La Grande Librairie.19

Ainsi c’est l’ensemble de l’édition littéraire qui tente de se calquer sur la ligne éditoriale de l’émission « littéraire » afin d’y accéder20, affectant par là même la production littéraire21. Les auteur·ice·s dont l’œuvre dispose d’une histoire, charpentée autour d’un thème, se trouveront avantagé·e·s. Il n’est pas étonnant de voir les œuvres « transitives » se multiplier. L’émission Apostrophe a marqué l’avènement d’un format d’émission dont le succès (en termes d’audimat donc) a affecté durablement le traitement médiatique de la littérature, influençant en retour la production littéraire elle-même.

Loin de bousculer la manière dont on médiatise la littérature, les nouvelles formes de prescription, issues du web 2.0, n’ont fait que la renforcer.22 Pour les blogs littéraires, de chaînes Youtube ou même de comptes Instagram (ou de tout autre réseau social), il s’agira avant toute chose de se positionner dans la lignée des standards fixés par Apostrophe — et qui n’ont subi que de mineures modifications depuis. On retrouve encore et toujours les pratiques du pitch : résumer de manière accrocheuse l’histoire de tel ou tel livre. À l’instar des émissions littéraires, les médias numériques sont également (et peut-être même de manière plus accrue) soumis à l’impératif de l’audimat.

Ce sont des ressorts identiques qui, me semble-t-il, ont participé à l’ancrage durable des théories issues du capitalisme thérapeutique dans le paysage littéraire français, voire francophone. En ce début de XXIème siècle les livres promouvant les méthodes du capitalisme thérapeutique ont connu de réels succès en librairie.

Le capitalisme thérapeutique avant d’être ce moyen de maintenir et de renforcer le statu quo se trouve être un business à part entière. À ce titre, ce qu’on appelle aujourd’hui le développement personnel en est un, et des plus lucratifs.23 Au sein de l’industrie du livre, ils ont représenté 32 % du marché du livre en 2018, un pic a par ailleurs atteint lors de la pandémie de COVID-19, avec plus de six millions de livres vendus entre mai 2021 et avril 2022. Cette augmentation sera suivie d’une baisse de 15,5 % par la suite, cependant ce le marché des livres qualifiés de « bien-être et développement personnel » reste toujours porteur.24

Il nous semble d’autant plus intéressant de nous pencher sur ces questions, aujourd’hui, maintenant que quelques années nous séparent du pic d’intérêt qu’ont connu ces productions du capitalisme thérapeutique. Qu’elles eu tout le temps — et les relais — nécessaires pour se déployer à grande échelle et affecter les consciences, on peut en mesurer les effets. Il est décisif de rappeler ici, avec Michel Foucault, que l’auteur·ice, loin d’être ce « génie » [blanc, lesbien·ne, racisé ou cis…etc.] qui opère dans les nuées, est avant toute chose « fonction variable et complexe du discours »25. Que comme tout un chacun il est influencé par l’ensemble des discours circulant dans l’espace social et que, par conséquent, son œuvre même se trouvera traversée ces mêmes discours.

La notion foucaldienne de « fonction-auteur » remet en cause la vision traditionnelle de l’auteur comme figure autonome, créant ex nihilo à partir d’une inspiration personnelle. Foucault montre que l’auteur n’est qu’un relais de discours plus larges qui circulent dans la société à un moment donné, des discours structurés par les régimes de pouvoir et de savoir. En cela, l’auteur·ice est pris·e dans des dynamiques sociales et historiques qui déterminent en partie ce qu’il·elle écrit et pense. Son œuvre est donc le produit de forces sociales qui le traversent, et non le fruit d’une pure individualité créatrice.

Le capitalisme thérapeutique, comme nombre de savoirs auparavant, a également affecté l’imaginaire des écrivain·e·s et donc la production littéraire de ces dernières décennies. Mouvement encouragé par nombre de structures éditoriales qui ont alors décidé de surfer sur le succès commercial de ces productions. Se sont alors distinguées deux postures, la première, destinée au grand public, où il s’agit d’imprégner les productions littéraires standardisées d’un vernis issu du développement personnel. La seconde relève d’une posture plus prestigieuse, renvoyant à cette littérature moyenne ou hybride qui, comme la première, se destine au plus grand public, sans pour autant rogner sur sa supposée valeur littéraire.

II.2 Feel-good pour les popus

Feel-good books ou livres qui font du bien, c’est au cours des années 2010 que l’expression est apparue dans la sphère médiatique, notamment.26 Elle désigne essentiellement des romans qui mettraient en scène « un personnage marqué par des épreuves, souvent féminin, mais pas toujours, qui parvient à un épanouissement personnel en s’ouvrant aux autres et à la vie, et dont la valeur exemplaire au plan pragmatique suscite un sentiment de bien-être chez le lecteur, voire de réconfort par identification. »27 Cette définition du roman « feel-good » est tirée de l’un des seuls colloques consacrés à cette question. Sans qu’ils ne soient littéralement cités, nous comprenons que le « développement personnel » et le concept de « résilience » sont au cœur de ces romans.

En effet, de nombreux romans à succès des années 2010 suivent ce schéma. Que l’on pense à ceux d’autrices telles que Agnès Martin-Lugand, Aurélie Valognes28 ou encore Virginie Grimaldi — la deuxième citée s’étant par ailleurs distinguée en écoulant plus d’exemplaires que Marc Levy sur l’année 2018.29

II.2.1 Un best-seller, avant tout

Les feel-good books sont donc avant toute chose des romans qui visent un large public. À l’instar des best-sellers — qui sont, dans la plupart des cas — des livres destinés à un grand public et qui sont parvenus à réaliser cet objectif30 . Ces œuvres sont le lieu d’une « tension entre sérialisation et singularisation.»31 Pour le dire autrement, ces romans s’appuient sur des procédés scripturaux et narratifs convenus, voire conventionnels, permettant ainsi à l’œuvre d’être accessible au plus grand nombre — évitant ainsi à leur potentiel public toute gêne ou trouble dans leurs habitudes de lecture. Dans le même temps, l’œuvre doit également adopter des « logiques de singularisation s’apparentant [le plus souvent] davantage à une forme de maniérisme. »32 En effet, dans un marché aussi concurrentiel que la littérature, il est nécessaire de se distinguer de la masse de productions mise en circulation sur le marché.

L’accessibilité de ces œuvres destinées au plus grand public s’opère également par le biais de l’idéologie33. Un roman (ou une quelconque production de l’industrie culturelle) qui défendrait des idées et des conceptions du monde qui trancheraient trop fortement avec le cadre idéologique dominant ne pourrait aisément atteindre ce statut si convoité de best-seller. C’est pourquoi le best-seller doit être considéré avant tout « comme une catégorie idéologique, au sens où son unité s’inscrit dans une signification culturelle globale et un système de valeurs en tension. »34 Les romans feel-good illustrent parfaitement ce phénomène, en s’appuyant sur un socle idéologique issu directement du capitalisme thérapeutique, notamment à travers la littérature de développement personnel.

Le simple fait que cette appellation soit apparue témoigne de l’influence croissante du développement personnel dans l’espace public. S’inspirer de théories issues du capitalisme thérapeutique n’est pas une nouveauté, comme en témoigne L’homme qui voulait être heureux de Laurent Gounelle. Près de dix ans avant la popularisation du terme « roman feel-good », ce livre mêlait déjà, en 2008, fiction et développement personnel. Un précurseur, en son genre.

Notons également le cas de certaines œuvres qui vont hériter du qualificatif roman « feel-good » de façon rétrospective35, phénomène qui n’a en soi rien d’extraordinaire. Il aura fallu que l’idéologie de cette littérature issue du capitalisme thérapeutique, et plus particulièrement de son concept cardinal : la résilience, pénètre assez profondément les consciences et marque de son empreinte le marché du livre — comme nous l’avons vu plus haut, les ventes des livres de développement personnel ne cesseront d’augmenter jusqu’à connaître leur pic avec la pandémie du Covid-19 — pour qu’une appellation spécifique apparaissent. Appellation dont l’origine est avant toute chose marketing.36

II.2.2 Défense et illustration du capitalisme thérapeutique

Que les romans « feel-good » s’inspirent des conceptions du monde issues du capitalisme thérapeutique est un fait indéniable. Les considérer pour autant comme de simples reproductions à l’échelle littéraire de ces manuels de « développement personnel » serait pour autant réducteur. En effet les romans « feel-good » ne se contentent pas de dire la même chose que les manuels, mais « il les vérifient », valident et « confirment la promesse d’efficacité et de rapidité »37 de ces manuels, celle de nous permettre de surmonter les difficultés et de nous faire ainsi crever de bonheur.

Si l’on considère les manuels de développement personnel comme de la « théorie », les romans « feel-good » représenteraient donc quant à eux leur pendant « pratique ». Les histoires agencées ont pour principal but de montrer comment l’on parvient à accéder à ce bonheur qu’esquissent les manuels. À cet effet, on prendra des personnages « banals », auxquels les lectrices38 potentielles seront susceptibles de s’identifier. Non pas tant de constituer des modèles, mais des exemples dont on pourrait s’inspirer pour le réel. Et pour que le tout soit le plus accessible, les romans « feel-good » mettent en œuvre un schéma narratif standard : un personnage qui, à la suite d’une série d’épreuves et autres péripéties, passe d’une situation précaire à un état stabilisé. Il s’agit en somme de mettre en scène le processus de résilience par le biais de la narration — une narration des plus convenues le plus souvent. Le personnage que l’on rencontre, au début du roman, mal en point, va, à la fin du roman, voir son état de vie amélioré, avec un retour à la socialisation normée.

Cependant, il convient de préciser que ce que nous critiquons ici n’est pas simplement l’idée de surmonter des obstacles. Il est important de noter que le concept de résilience, bien que central dans l’idéologie du capitalisme thérapeutique, ne doit pas être confondu avec l’idée générale de lutte ou de dépassement personnel. En effet, la résilience, telle qu’elle est valorisée dans ces récits, repose principalement sur une adaptation passive aux structures sociales existantes. Dans ce cadre, la souffrance individuelle n’est pas vue comme un produit de la violence systémique, mais comme une épreuve personnelle que l’on doit surmonter pour retrouver une place dans l’ordre social, sans jamais remettre en question cet ordre lui-même.

Dans le cadre du capitalisme thérapeutique, la résilience devient une injonction à l’adaptation individuelle, une manière de détourner l’attention des causes structurelles de l’injustice sociale. Elle est transformée en un outil de perpétuation du statu quo, où le bonheur individuel prime sur la critique collective du système. Contrairement aux récits classiques, où le dépassement des épreuves pouvait s’accompagner d’une critique des structures sociales ou d’une transformation significative, la résilience moderne vise à réinsérer l’individu dans un ordre social inégal sans remettre en cause cet ordre.

Le premier roman d’Agnès Martin-Lugand39 constitue un cas exemplaire. Il s’ouvre sur un personnage dépressif et isolé et qui finit, à la suite d’un voyage en Irlande, par s’ouvrir aux autres, avec en prime l’ouverture d’un café littéraire.

Ainsi est mis en scène un processus de « résilience », un passage d’un état perturbé à un autre équilibré, les rencontres (humaines) servant le plus souvent de déclencheurs à ces changements. Comme Toue le bleu du ciel [2019] de Mélissa Da Costa — autre best-seller qui se trouve même être actuellement adapté en série pour TF1 — qui intègre nombre d’éléments issus directement du capitalisme thérapeutique et de son développement personnel et ce au travers de l’histoire d’Émile, 26 ans, atteint d’Alzheimer précoce et condamné à une mort inévitable. Il décide alors de s’embarquer pour un voyage initiatique dans les Pyrénées. À cet effet il passe une annonce, rencontrant par ce biais Joanne. Jeune femme ayant coupé les ponts avec son ancienne vie depuis la mort en bas âge de son enfant et le divorce qui en a découlé. Ainsi le voyage se l’occasion pour ces deux personnages de se redécouvrir à travers la nature, de panser leurs blessures.

Les deux personnages doivent mettre en œuvre la fameuse résilience, chacun à sa manière. Émile en mettant en œuvre pour que mener les jours qu’il lui reste à vivre de la manière qu’il souhaite. Quant à Joanne, elle doit se reconstruire après les drames vécus. Ainsi ces épreuves sont l’occasion de transformations personnelles. Les difficultés étant appréhendées, dans la macrostructure narrative, comme des opportunités pour apprendre, évoluer et trouver un nouveau sens à la vie.40

Le cœur de ces « résiliences narratives » réside avant tout dans le « cheminement psychique »41 du personnage. L’exploration intime que suscitent en lui diverses rencontres et péripéties conduit à surmonter les difficultés auxquelles il est confronté, opérant ainsi la fameuse « résilience ». Cette dernière ne fait en réalité que masquer une injonction à l’adaptation : retrouver une place, voire sa place, au sein d’un monde hiérarchisé, sans jamais remettre en question l’ordre social existant.

En se concentrant sur l’adaptation individuelle, ces récits occultent les causes structurelles de la souffrance et du mal-être. Si le capitalisme thérapeutique en offre un discours direct au travers du développement personnel, le roman « feel-good » illustre et défend ces conceptions par le biais de personnages auxquels tout un chacun peut s’identifier. Renforçant par l’entremise de l’illusion référentielle l’idée que la responsabilité du bonheur repose exclusivement sur l’individu.

Le dénouement heureux de ces histoires laisse intactes les conditions matérielles de l’existence, mais modifie la perception que les individus ont de leur place dans le monde. En validant l’idée que le bonheur réside dans l’effort personnel et la capacité à surmonter les épreuves, ces récits consolident les notions de responsabilité individuelle et de mérite, qui sont au cœur de l’idéologie capitaliste. Ils perpétuent ainsi l’illusion que la réussite est à la portée de tous, à condition de s’y adapter, tout en détournant l’attention des véritables causes de l’aliénation et des inégalités sociales.

Nous avons exploré la manière dont l’industrie culturelle, par le biais de ces romans feel-good, tend non pas simplement à diffuser les conceptions du capitalisme thérapeutique, mais à les vérifier, les illustrer au travers d’histoires. Ces récits, axés sur la résilience individuelle, réduisent les épreuves personnelles à des opportunités de transformation intime, laissant les structures sociales inchangées. Ainsi, ces romans feel-good ne doivent pas être perçus simplement comme des produits de divertissement, mais comme des instruments idéologiques qui contribuent à maintenir le statu quo en détournant l’attention des conditions matérielles d’existence vers des solutions purement psychiques et personnelles.

En somme, les romans feel-good contribuent à la diffusion et renforcement du capitalisme thérapeutique, non pas simplement en en reproduisant les idées dans le cadre de fictions divertissantes, mais elles en valident le caractère individualiste et motivationnel. Le bonheur et l’accomplissement résideraient dans l’effort personnel et la capacité à surmonter les épreuves. Cette logique renforce les notions de responsabilité individuelle et de mérite, centrales dans le capitalisme, tout en détournant les regards des causes systémiques des inégalités. Ce phénomène n’est pas isolé, et comme nous nous apprêtons à le voir, affecte des œuvres considérées comme disposant d’une plus grande valeur littéraire.

II.3 Litterariser le capitalisme thérapeutique

Comme tout marché porteur, celui des romans feel-good finit par s’essouffler. Bien que ce terme ait été largement utilisé tout au long des années 2010, on observe aujourd’hui une certaine prise de distance. En quête de légitimité, notamment sur le plan médiatique, les structures éditoriales et les auteur·ice·s préfèrent désormais présenter ces ouvrages comme des « livres populaires »42. Cela reste toutefois une nouvelle stratégie marketing pour faire disparaître une étiquette devenue péjorative. Les romans feel-good sont souvent la cible des critiques littéraires. Pourtant, ces mêmes critiques ne tarissent pas d’éloges lorsqu’il s’agit d’évoquer d’autres romans mettant en récit des « résiliences narratives » où un personnage passe de l’ombre à la lumière après avoir traversé moult épreuves,  le « cheminement psychique » se trouvant être mis en scène également. La référence aux livres et autres manuels de développement personnel étant présente de la même manière.

Le premier exemple qui vient à l’esprit serait Yoga d’Emmanuel Carrère, mais également nombre de romans de David Foenkinos, sans oublier Delphine De Vigan ou encore Anna Gavalda. Pourquoi cette différence de traitement ? Est-ce dû seulement et uniquement au caractère extrinsèque de la littérature. À cette valeur littéraire qui se trouve bien souvent affectée par la circulation circulaire de la recommandation et de la critique ? Cette valeur extrinsèque qui nous faire percevoir un texte différemment lorsqu’il est encore à l’état de tapuscrit, comparé à sa version finale publiée avec le logo de quelque éditeur prestigieux apposé sur sa couverture ? Ou bien existe-t-il une véritable différence entre ces romans de littérature moyenne et les romans feel-good ?

Les œuvres auxquelles nous nous intéresserons ici sont, à l’instar des romans feel-good,destinées à au grand public, nombre d’entre elles, appartiennent à la catégorie des best-sellers. Elles mettent en œuvre cette « tension entre sérialisation et singularisation», la première s’opérant essentiellement par le truchement d’un biais idéologique [issu du capitalisme thérapeutique dans le cas qui nous occuper], la seconde étant prise en charge par des procédés scripturaux qui ajoutent un vernis littéraire à la production. À cette fin nous analyserons un certain nombre d’œuvres sous ces deux aspects.

II.3.1 Jeu d’écriture

En vue de se distinguer, nombre d’écrivain·e·s usent de procédés qui permettent de justifier la qualité littéraire de leur production. La mise en abyme et/ou l’écriture réflexive s’avèrent être de bonnes cautions. En effet, la dimension méta-textuelle est devenue un passage obligé de la fiction, un gage de distinction et de valeur littéraire. De tels jeux d’écritures permettent d’échapper à la simplification des émotions que l’on trouve dans les romans feel-good, où la transformation personnelle est abordée de manière directe et accessible.

On peut citer à cet effet La délicatesse[2009, Gallimard] de David Foenkinos dans lequel on retrouve, à peu de choses près, le même schéma de la fameuse « résilience narrative ». Il s’agit de l’histoire d’une femme, Nathalie qui à la suite de la perte de son mari, tente de se reconstruire. Une rencontre va bouleverser sa vie et lui permettra de se remettre de ce drame et atteindre ainsi un état d’équilibre. David Foenkinos ajoute une couche de réflexivité à son roman, le roman est composé d’une succession de courts fragments, certains narrent le récit quand d’autres laissent place à des commentaires ou des réflexions de toute sorte ayant peu ou prou un lien direct avec l’histoire narrée. Pour ne citer que cet exemple, quand un personnage se demande à la fin du fragment 35 qui a pu « inventer la moquette ». Le fragment 37 répond à la question en citant le Larousse. Ainsi ce procédé permet de créer une distance ironique vis-à-vis de l’histoire.

Les gratitudes [2018, J-C Lattés] de Delphine de Vigan opère également un jeu métatextuel, moins direct, à travers cette fois-ci de son personnage principal : Michka — vieille dame atteinte d’aphasie, elle perd progressivement la parole à cause de sa maladie. La langue, les mots manquants, et la capacité à nommer les choses deviennent des sujets connexes du roman créant une forme de réflexivité implicite. Dans cette veine de la réflexivité, on peut également citer Je l’aimais [2002, Le Dilettante] de Anna Gavalda qui va plus loin, par ailleurs, puisque le récit est assumé comme la parole d’un personnage et qui donne lieu donc à des commentaires d’autres personnages, notamment celui de Chloé. Procédé qui permet de créer une distance critique, voire ironique, parfois avec la tonalité générale du roman.43

Bien évidemment, le jeu d’écriture que nous évoquons ici ne se résume pas à l’autoritairement, d’autres procédés scripturaux peuvent également être mis en œuvre en vue de hausser la valeur littéraire de telle ou telle œuvre. Changer l’eau des fleurs [2018, Albin Michel] de Valérie Perrin constitue un bon exemple en ce sens. Avec sa structure non-linéaire elle se distingue des romans feel-good standards, à cela ajoutez une touche de lyrisme qui en fera forcément une œuvre poétique, car on le sait bien toute poésie est lyrique… etc.

II.3.2 Du capitalisme thérapeutique malgré tout

La différence de ces romans plus haut de gamme tient également au fait qu’ils ne tendent pas à vérifier les théories du développement personnel de manière aussi abrupte que ne l’opèrent les romans feel-good. Ainsi trouve-t-on le motif du rebond après un évènement traumatique ou l’injonction à vivre le moment présent en vue d’atteindre le fameux bonheur. Autant de traits qui minorent, voire relativisent les conditions matérielles d’existence des personnages.

Cette dynamique est particulièrement frappante dans des œuvres comme Les Loyautés de Delphine de Vigan, où les personnages font face à des difficultés émotionnelles et sociales graves, mais la solution passe par une introspection et une adaptation individuelle, jamais par une remise en cause des inégalités ou des oppressions structurelles.

Cette approche littéraire de la résilience, souvent perçue comme plus noble et légitime parce que considérée comme mieux écrite — ou pour le dire autrement reprenant certains codes afférents à la création littéraire (post-)contemporaine — ou plus complexe ne diffère pas essentiellement des romans feel-good. D’un certain point de vue, on pourrait même la considérer comme plus pernicieuse dans la mesure où elle jouit d’une validation médiatique et symbolique. Le message est peu ou prou toujours le même s’adapter plutôt que contester, se réformer individuellement plutôt que se mobiliser collectivement.

En définitive, ces romans, bien que plus sophistiqués que les feel-good books classiques, reproduisent les mêmes mécanismes idéologiques en évacuant toute critique des structures sociales et économiques. Ils valident un modèle de résilience centré sur l’individu, détournant ainsi l’attention des luttes collectives et des solutions systémiques. Mais il y a d’autres œuvres qui loin de simplement vérifier et illustrer les recettes des manuels de bien-être ambitionnent de leur faire concurrence.

III. Manuel de bien-être littérarisé

À ce titre le récit autobiographique, Yoga, d’Emmanuel Carrère me semble représentatif de cette reprise des éléments du roman « feel-good » et du capitalisme thérapeutique au sein d’une œuvre à très forte valeur littéraire, tant par le biais de l’auteur — Emmanuel Carrère donc — que de la structure éditoriale — P.O.L en l’occurrence. À l’instar des romans « feel-good », Yoga met en scène un processus de « résilience ». En effet, à la suite d’une sévère dépression, le narrateur est diagnostiqué « bipolaire » et est hospitalisé en psychiatrie. À la suite d’une Électroconvulsivothérapie — anciennement appelée électrochocs —, le narrateur parvient à surmonter sa grave dépression et reprendre le cours de son existence. Il est nécessaire pour autant au personnage de veiller à sa santé mentale, et plus particulièrement dans un monde qui va mal. Nous assisterons à la manière dont le narrateur parvient à tenir le coup.

Contrairement aux romans feel-good on ne retrouve pas à proprement parler de « résilience narrative », à savoir le passage du personnage d’un état précaire à un autre plus équilibré. La résilience n’est pas tant liée à un évènement particulier, mais plutôt à ce qui s’assimilerait à une lutte existentielle plus large et continue. À cet effet, le narrateur évoquera les moyens par lesquels il parvient à préserver sa santé mentale, notamment grâce au yoga et à la méditation.

III.1 Reprise cynique du capitalisme thérapeutique

Des pratiques dont on doit la popularisation aux livres issus de l’idéologie du capitalisme thérapeutique, et qu’Emmanuel Carrère utilise délibérément pour renforcer l’attractivité de son récit44.Lui qui, au cours du récit, évoquera à plusieurs reprises son souhait de capitaliser sur le succès des livres de développement personnel.45 Il ne s’agira aucunement d’opérer une critique de ces manuels. En même temps adhérer aux thèses et autres théories de ces manuels nuirait gravement à la valeur symbolique affectée à sa personne et à son œuvre.

En vue de résoudre cette équation, l’auteur, par l’entremise de son narrateur, se prête dès lors à un subtil jeu d’équilibriste. Cette ambivalence se cristallise dans un passage où il présente une journaliste travaillant pour un magazine dédié au bien-être :

Elle travaille pour un magazine dédié au bien-être et au développement personnel, diffusant une vision positive de la vie selon laquelle, en gros, la pire tuile qui nous tombe dessus est en réalité une excellente chose : une occasion d’avancer et de devenir meilleur. (…) Elle voit bien ce que cette vulgate a de caricatural, mais pense que la vision du monde qui la sous-tend est juste, et je suis assez d’accord avec elle.46

Bien que Carrère présente cette journaliste et son travail avec une distance ironique, qualifiant le développement personnel de « vulgate » et de « caricature », il finit par concéder qu’il est « d’accord » avec la vision du monde qu’elle sous-tend. Cette posture ambivalente reflète une forme de cynisme : tout en dénonçant le caractère simpliste de cette idéologie, il valide néanmoins la « vision du monde » qu’elle défend — celle de la résilience individuelle comme solution aux maux sociaux.

Le cynisme de Carrère dans Yoga réside dans sa capacité à jouer sur deux tableaux à la fois. D’une part, il critique ouvertement les poncifs du développement personnel, qualifiant cette littérature de « vulgate » et pointant du doigt sa simplification caricaturale de la complexité humaine. Cependant, d’autre part, il finit par accepter cette même vision du monde, concédant qu’il est « d’accord » avec les principes fondamentaux de cette idéologie, notamment l’idée que les épreuves individuelles sont des opportunités de croissance personnelle.

Un cynisme d’autant plus pernicieux qu’il permet à Carrère de se positionner comme une figure littéraire critique tout en profitant du succès commercial d’une idéologie qu’il prétend contester. En somme, Carrère, tout en affichant une posture de distanciation intellectuelle, valide en filigrane les principes mêmes du capitalisme thérapeutique qu’il prétend dépasser. Il se situe ainsi dans une zone grise où il peut se permettre d’adopter une posture « littéraire » plus élitiste, tout en s’assurant de ne pas s’aliéner le vaste public séduit par les promesses de résilience et d’accomplissement personnel que véhiculent les manuels de développement personnel. Ce double jeu, où critique et validation coexistent, est au cœur de la stratégie narrative et commerciale de Yoga.

III.2 Prolongement littéraire du capitalisme thérapeutique

Pour autant Yoga se distingue des romans feel-good par le fait que le récit ne tend pas tant à vérifier ou valider les thèses des manuels de bien-être, mais bien plutôt à en proposer une « version » personnelle qui les compléterait, qui elle, dirait le vrai au sujet de pratiques telles que le yoga ou la méditation.47 Ne proposant dès lors qu’une version plus sophistiquée voire élitiste, ne faisant que réaffirmer les mêmes principes sous une forme plus radicale et surtout sans s’attaquer aux fondements mêmes de l’aliénation et du mal-être.

Ainsi s’agit-il pour Carrère de « travailler sur le matériel existant », détournement tout à fait cynique d’une phrase de Lénine dans la mesure où Carrère l’utilise dans un contexte personnel intime et surtout individualiste. Non pas dans le cadre d’un projet collectif de transformations sociales que Lénine appelait de ces vœux, mais bien plutôt dans sa quête de guérison et d’épanouissement personnel. Cette réappropriation individualiste trahit une inversion complète du sens de la citation dans le contexte marxiste. Loin d’un appel à transformer les conditions sociales par une action collective, Carrère l’utilise pour justifier la résilience personnelle et l’adaptation aux difficultés psychiques dans un cadre de développement personnel. Il s’agit, dans Yoga, de s’adapter au monde tel qu’il est, avec ses contradictions et ses épreuves, plutôt que de chercher à en transformer les structures injustes. Cela souligne un basculement de l’horizon révolutionnaire vers une solution strictement individualiste.

Ce processus d’adaptation personnelle (via le yoga, la méditation et d’autres pratiques) finit par confirmer le cadre idéologique du capitalisme thérapeutique : le problème n’est pas dans la structure sociale ou économique, mais dans la manière dont l’individu y réagit. Il y a ici une logique qui ressemble à celle de l’injonction à la résilience, où l’on valorise la capacité à surmonter ses difficultés sans remettre en cause l’ordre social qui les produit.

IV. L’écriture comme résilience

Sans verser dans le feel-good (qu’il soit convenu ou plus élaboré) on trouve trace de la fameuse résilience parfois même au sein d’œuvres qui se voudraient pourtant éloignées de ces considérations psychologisantes. Je pense ici, notamment, au recueil de Joseph Ponthus, À la ligne. Feuillets d’usine. L’œuvre se présente comme le journal, largement autobiographique, d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons puis dans des abattoirs bretons. Joseph Ponthus, de son vrai nom Baptiste Cornet, a concrètement vécu cette situation, livre un recueil tout à fait percutant sur les conditions de travail des travailleurs (et pas simplement des ouvriers) et plus particulièrement les plus précaires. À la ligne s’achève par ailleurs sur une critique plus globale du travail en tant que tel, en tant que concept.

Ajoutons que À la ligne rompt avec les codes traditionnels du roman comme ceux de la poésie, articulant, au travers de procédés scripturaux, une critique du travail et de sa centralité dans nos existences dans l’organisation sociale capitaliste48. Cependant, l’œuvre laisse filtrer (malgré elle?) des conceptions du monde, et plus particulièrement de la littérature, pour le moins réactionnaires. Il s’agit fable rapportée par le sujet énonciateur (qualifiée de « parabole » dans le texte)49 pour plus de commodité, nous l’intitulerons la « fable des casseurs de pierres ».

En substance, il s’agit d’un homme, à Chartres, qui croise trois ouvriers, trois casseurs de pierre, recrutés pour la rénovation de la cathédrale. Ces trois casseurs de pierre, il les interpelle successivement. Le premier se plaint de ses conditions de travail, le deuxième est dans une perspective pragmatique, pour (sur)vivre, il doit gagner de l’argent, donc travailler. Le troisième ouvrier quant à lui, tranche avec ses deux prédécesseurs, il a le « visage  radieux »50, il se contente de dire : « Je construis une cathédrale »51.

Disons-le de suite, cette fable vous la retrouverez reproduite (avec quelques variantes) sur nombre de blogs et de sites spécialisés dans le coaching et le développement personnel. On doit sa popularisation à Boris Cyrulnik — ce médecin de formation qui s’est fait connaître par des livres grand public traitant de bien-être, il est également l’un des plus grands promoteurs du concept de résilience en France. Lors d’un entretien accordé à Psychologies Magazines, Boris Cyrulnikrapporte la fable en l’attribuant (sans en être certain) à Charles Péguy52. Information que nous avons vérifiée, avec l’aide du logiciel Voyant tools, explorant les œuvres complètes de Péguy et de Paul Claudel. Nous sommes allés jusqu’à éplucher avec minutie les éditions de la Pléiade de l’auteur du Soulier de satin et celui de L’argent, sans trouver aucune trace de la fable.

IV.1 Réaction et sublimation du travail

Loin d’être anecdotique, la genèse de cette fable et sa reprise dans À la ligne nous renseignent sur la manière dont une œuvre, qui se veut émancipatrice, reprend, sans aucune dimension dialectique, voire même critique, une fable tirée des discours du capitalisme thérapeutique, ce qu’il faut bien qualifier d’idéologie ayant pour objet de nous faire sentir soi-disant mieux, non pas en agissant sur le monde, mais en trouvant les ressorts psychologiques en vue de se dépasser.

Dans le cadre de la « fable des casseurs de pierre », il s’agit de nier l’expropriation du temps qu’induit le travail, la manière dont ce travail modifie qualitativement notre rapport au réel. L’existence d’un temps de travail impliquant de fait un temps de repos, de loisir. Notre existence se trouvant dès lors régie par cette répartition du temps. Le bonheur résiderait dès lors dans l’attitude béate du troisième ouvrier. Tout est dans l’état d’esprit, dans la manière dont on envisage la chose. Ce troisième ouvrier est ainsi mis en valeur pour sa capacité de « résilience », sa disposition « optimiste » lui permettant, selon la morale implicite de la fable, de faire face et de surmonter la souffrance du travail.

Racontée ainsi, dans son plus simple appareil, la fable entre pourtant en contradiction avec le propos général de À la ligne. Si le sujet énonciateur (ou l’auteur) croyait à ce type de solutions, l’œuvre n’aurait pas été du même tenant, elle n’aurait pu développer une critique du travail. Comment dès lors expliquer sa reprise littérale ?

IV.2 Écrire, une simple « résilience » ?

Les pages qui nous sont données à lire tout au long de À la ligne représentent une sorte de journal écrit au jour le jour par le sujet énonciateur. Le sous-titre même, Feuillets d’usine, explicite le caractère méta-textuel de l’œuvre. Si le sujet énonciateur s’assimile, ou s’identifie du moins, au troisième ouvrier, l’exploité heureux, c’est avant toute chose d’un point de vue scriptural.

En effet, le sujet énonciateur conclut le récit de la fable en opérant une analogie entre l’état d’esprit de ce troisième ouvrier et le sien : « Puissent mes crevettes et mes poissons être mes pierres ».53 Ainsi voudrait-il que les crevettes qu’il manipule au jour le jour dans l’usine de conditionnement lui permettent d’ériger sa cathédrale, à savoir son œuvre. Associer l’œuvre littéraire à une cathédrale est une métaphore assez convenue, on en trouve trace chez Chateaubriand ou du côté de Proust.

Ce point est crucial. Je crois fermement que cette « fable des casseurs de pierres » si elle n’avait été énoncée dans un contexte touchant à la création littéraire, ni Ponthus ni son sujet énonciateur ne l’aurait rapportée de la sorte, sans émettre une critique ni la remettre en cause. De la même manière, certain·e·s lecteur·ice·s et critiques en auraient signalé l’incongruité si elle n’avait pas été rapportée à la question de l’écriture. Prise dans un cadre éminemment littéraire, la morale implicite et rance de la fable n’a pas été perçue. Ce fait me semble dénoter de la manière dont nos imaginaires, dès qu’il s’agit de littérature ou d’art, se dissocient de toute lecture politique.

Dans cette perspective, À la ligne mérite une attention particulière. La littérature (en général) et l’activité scripturale en particulier ne seraient, tout au plus, que des palliatifs. Des façons d’opérer la fameuse résilience permettant de consolider le statu quo. En opérant une analogie entre son écriture et la fable des casseurs de pierre, Joseph Ponthus reproduit un archétype, aujourd’hui standard(isé), celui de l’«écrivain qui a vécu les pires malheurs et pour qui la littérature constitue une forme de résilience.»54 Il ne s’agit là, en somme, que d’une réinterprétation du mythe de l’artiste maudit, l’idée reçue que pour écrire — faire œuvre — il était nécessaire d’en passer par la souffrance, cette dernière opérant, dans certains cas, comme un label d’authenticité pour la création artistique.

Actualisé, accommodé à la sauce résilience, le trope romantique de l’artiste maudit fait de l’écriture, comme activité, un processus thérapeutique, permettant à l’écrivain·e (ou l’artiste) de surmonter les épreuves auxquelles il ou elle est confronté·e, non pas forcément en vue d’atteindre le bien-être, mais dans l’optique de faire œuvre artistique. Ainsi ce n’est pas le récit en tant que tel qui prend en charge le processus de résilience, mais ce que nous avons entre les mains, le livre, l’œuvre qui est le fruit de cette résilience.

Appréhendée de la sorte, l’activité scripturale — ou plus généralement artistique — n’aurait d’autre but que de nous permettre de nous accommoder au monde existant, voire, pire, de justifier ce monde mauvais qui nous entoure, car, en définitive, n’est-ce pas la souffrance qui engendre des œuvres si puissantes ? — pour reprendre un qualificatif que semble affectionner particulièrement les médias littéraires. Une fois encore, il s’agit de neutraliser la dimension politique de l’activité scripturale, ou seulement de la reléguer à sa dimension dénonciatrice la plus convenue. Ainsi considérée, elle ne peut être ni source de lutte encore moins de contestation de l’organisation sociale.

Pour conclure

Faire du bien — De quelle manière opérer une telle approche dans un monde (rendu) mauvais ? En oblitérant ce dernier, donner le change au positif, cette littérature qui veut (in)directement faire du bien n’opère-t-elle pas, par ses pratiques, le geste inverse ? « Chaque pas que l’on fait du côté des joies des êtres humains [n’est-il pas] un pas vers un durcissement de la souffrance » ?55

Paradoxe ou aporie : en cherchant à faire du bien tout en ignorant les causes profondes du mal, la littérature qui se veut bienveillante ne fait-elle pas le contraire ? Elle confirme les pratiques thérapeutiques qui ont cours. On ne se préoccupe pas des causes. On se focalise sur la gestion des symptômes, le bricolage de méthodes visant à gérer le mal-être — comme la résilience.

La littérature et l’industrie culturelle qui la subsume n’ont pas simplement répercuté un concept largement banalisé, mais elles lui ont donné chair, l’ont illustré, l’ont vérifié ; à la fois au travers d’œuvres, mais également par la manière dont les procédés de création littéraire et artistique sont envisagés.

La résilience n’est qu’une couleur dans la large palette de ce que nous appellerons la littérature du capitalisme thérapeutique, à sa manière et par ses procédés elles illustrent ce l’application de « système »56 sur l’individu. Nous ne serions, tous et toutes, rien que des systèmes ambulants, le mal-être est notre bug, il suffirait de le réparer, réparer le vivant et le monde. Autant de pistes à explorer, prochainement.

Notes

1Nous appréhendons la littérature dans une dimension extensive et nous ne la résumons pas à la simple triade « roman, littérature, théâtre » voir : https://livres.litteralutte.com/litteralutte-pour-une-litterature-emancipatrice/

2Alexandre Gefen, Réparer le monde, Paris, José Corti, 2017, p.107.

3Pour une synthèse sur l’ensemble de ces questions on recommandera la lecture de : Alain Vaillant, « Chapitre V. Indéfinissable littérature », L’histoire littéraire, Paris, Armand Colin, « Collection U », 2017, p. 105-124.

4Michel Foucault, Surveiller et punir: naissance de la prison, Paris, Gallimard, 2003 [1975], p.227.

5J’emprunte l’expression à Josep Rafanelli Orra, En finir avec le capitalisme thérapeutique, 2011 [2022], La Découvert [Éditions Météores].

6Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », in Dits et écrits I. 1954-1975, Paris, Gallimard, Quarto, 2001 [1994], p.839.

7Robert K. Barnhart, The Barnhart Dictionary of Etymology, H.W. Wilson, New-York, 1988, p.916. Url : https://archive.org/details/barnhartdictiona0000unse_i0f4/page/916/mode/2up?q=resilience

8L’exemple le plus abondamment cité en ce sens est celui d’André Maurois, « Dans ce deuil, une fois encore, elle étonna ses amis par son immédiate résilience » [Maurois, Lélia], cité dans l’entrée « résilience » du Centre de ressources textuelles et lexicales, url : https://www.cnrtl.fr/definition/r%C3%A9silience

9Entrée « résilience » du Centre de ressources textuelles et lexicales, url : https://www.cnrtl.fr/definition/r%C3%A9silience

10Voir à ce sujet Joesp Rafanell I Orra, En finir avec le capitalisme thérapeutique, Paris [Bruxelles], La Découverte [Éditions Météores], 2011 [2022].

11Ibid, p.206.

12Le DSM est un manuel de classification des troubles mentaux utilisé principalement par les professionnels de la santé mentale, y compris les psychiatres et psychologues, pour diagnostiquer les troubles psychiatriques.

13« … the process and outcome of successfully adapting to difficult or challenging life experiences, especially through mental, emotional, and behavioral flexibility and adjustment to external and internal demands. A number of factors contribute to how well people adapt to adversities, predominant among them (a) the ways in which individuals view and engage with the world, (b) the availability and quality of social resources, and (c) specific coping strategies. Psychological research demonstrates that the resources and skills associated with more positive adaptation (i.e., greater resilience) can be cultivated and practiced. Also called psychological resilience. », APA Dictionary of psycholgoy : https://dictionary.apa.org/resilience

14Serge Tisseron, La résilience, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », Paris, 2007,p.7.

15Voir, notamment Lire le délire [Fayard, 2001] de Juan Rigoli ou Portrait de l’artiste en fou criminel [Grumpen, 2022] d’Anouck Cape, évoqué ici.

16Voir Dominique Viart, Bruno Vercier et Franck Evrard, La littérature française au présent : héritage, modernité, mutations. Paris, Bordas, 2005

17Par transitivité on entend le fait que l’accent est mis sur le caractère référentiel dans la production littéraire, c’est-à-dire d’une littérature où le sens du texte est directement accessible à travers les événements, les personnages et l’intrigue.

18Olivier Bessard-Banquy, L’industrie des lettres, Paris, Pocket, 2012[2009]., p.41.

19Voir les enquêtes de Livres Hebdo/I+C sur l’impact des médias mesurant la manière dont la prescription affecte la commercialisation des livres,Vincy Thomas, Les médias qui font vendre, livrehebdo.fr, url : https://www.livreshebdo.fr/article/les-medias-qui-font-vendre

20Olivier Bessard-Banquy, L’industrie des lettres, op.cit, p.44.

21Ibid, p.45.

22Il existe bien évidemment des exceptions, mais ces dernières restent tout de même à la marge.

23Par ailleurs précisons que ces manuels de bien-être et autres livres de développement personnel ne constituent qu’un « produit d’appel », il servent avant toute chose à aiguiller les lecteur·ice·s vers des conférences, séminaires bien plus onéreux et donc lucratifs pour les entrepreneurs du capitalisme industriel.

24Voir le rapport du Syndicat national de l’édition [SNE] url : https://fill-livrelecture.org/wp-content/uploads/2023/07/SNE_2023_Synthese_ChiffresEdition2022.pdf

25Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », in Dits et écrits I. 1954-1975, Paris, Gallimard, Quarto, 2001 [1994], p.839.

26 Notons que cette appellation est reprise du cinéma [États-unien notamment], on y parle depuis les années 1980 au moins de feel-good movies[films qui font du bien].

27Présentation du colloque «Le style des romans ‘‘feel-good’’ d’expression française » , url :  https://lettres.sorbonne-universite.fr/evenements/le-style-des-romans-feel-good-d-expression-francaise »

28 Avec respectivement Les gens heureux lisent et boivent du café et Mémé dans les orties, deux romans qui suivront le même parcours éditorial, avec une première publication en auto-édition sur la plateforme d’Amazon avant d’être repris dans le catalogue des édition Michel Lafon.

29Sandrine Bajos, « Meilleures ventes de livres en 2018 », Leparisien.fr, url :https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/livres/meilleures-ventes-de-livres-2018-giordano-grimaldi-et-valognes-dans-le-top-10-17-01-2019-7991313.php

30Par ce soucis de clarté et de concision nous éluderons les questions liées au marketing et la mise ne circulation des livres qui dans le cas des best-sellers jouent, elles aussi, un rôle prépondérant.

31Mathieu Letourneux, « Le best-seller, entre standardisation et singularisation », Revue critique de fixxion française contemporaine [En ligne], 15 | 2017, mis en ligne le 15 décembre 2017, consulté le 20 septembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/fixxion/11808 ; DOI : https://doi.org/10.4000/fixxion.11808.

32Idem.

33« Contrairement à ce qu’une certaine tradition critique a pu défendre, le discours sur le best-seller repose moins sur des considérations économique ou littéraires que sur une structuration idéologique qui en détermine l’appréhension sédimentée. » Mathieu Letourneux, «  5. Best-seller, consommation et idéologie », Olivier Bessard Banquy, Sylvie Ducas, Alexandre Gefen (dir.), Best Sellers : L’industrie du succès. Armand Colin, 2021, p.332.

34Idem.

35Ensemble, c’est tout d’Anna Gavalda [2007, Le Dilettante] ou L’élégance du hérisson de Muriel Barbery [2006, Gallimard] pour ne citer que ces deux exemples.

36Là également, rien de fondamentalement inédit. Les mouvements, tendances et autres catégories littéraires se trouvent le plus souvent suscitées par des considérations marchandes et ou politiques. On ne s’en cache pas dans le monde de l’édition : « Le feel-good n’a rien inventé, affirme Florence Lottin, directrice de Pygmalion (Flammarion), on range simplement sous cette étiquette des livres qui existaient déjà ». « C’est avant tout un terme marketing qu’on utilise entre nous, reconnaît Véronique Cardi. Il a l’avantage de recouvrir un champ suffisamment vaste pour qu’on puisse promouvoir un très grand nombre de livres sous cette étiquette. »In Marion Guyonvarch, Dossier feel-good, la déferlante, 2017, livrehebdo.fr,url : https://www.livreshebdo.fr/article/dossier-feel-good-books-la-deferlante

37Michel Murat, « 14. Les livres qui font du bien »,« Le storytelling des écrivains de best-sellers », Olivier Bessard Banquy, Sylvie Ducas, Alexandre Gefen (dir.), Best Sellers : L’industrie du succès. Armand Colin, 2021, p.332.

38Je précise lectrice car il se trouve que le « cœur de cible » de ce type de production se trouve être essentiellement féminin.

39Les gens heureux lisent et boivent du café [2013, Michel Lafon].

40On retrouve également un certain nombre de motifs issus du développement personnel, comme la question du « retour à la nature » ou « à la simplicité », la fameuse « introspection » permettant de « mieux se comprendre »…Etc.

41Michel Murat, « 14. Les livres qui font du bien », op.cit, p. 247-261.

42 Cécile Charonnat, « Romans qui font du bien : ne dites plus feel-good », dites « pop littérature » », livreshebdo.fr, 2020, url : https://www.livreshebdo.fr/article/romans-qui-font-du-bien-ne-dites-plus-feel-good-dites-pop-litterature

43« Oh ! Comme c’est beau ce que vous dites là ! On dirait du Paulo Coelho », Anna Gavalda, Je l’aimais, 2002, Le Dilettante, p.215.

44Démontrant une fois de plus le caractère éminemment idéologique du best-seller.

45« Simplement, je m’apprête à le dire d’une autre place, disons d’un autre rayon de librairie que celui du développement personnel. » & « Et en plus, me disais-je en mon avide for intérieur, énormément de gens font du yoga aujourd’hui, énormément de gens seraient contents de mieux savoir ce qu’ils font en faisant du yoga : c’est un livre qui peut faire un carton. » Emmanuel Carrère, Yoga, 2020, P.O.L, p.131 & p.32.

46 Ibid, p.120.

47« On lui explique gentiment que ce que les gurus à la mode et les livres de développement personnel appellent méditer ou rien, c’est du pareil au même : si on n’a pas fait le long travail préparatoire, on peut passer des milliers d’heures sur un zafu à se concentrer sur sa respiration ou sur l’espace entre ses sourcils, on pourrait aussi bien faire la sieste. » Ibid, p.19.

48Si une analyse de À la ligne vous intéresse, n’hésitez pas à nous le signaler sur les réseaux sociaux ou en commentaire.

49Joseph Ponthus, À la ligne. Feuillets d’usine, Gallimard [La table ronde], coll. Folio, 2020 [2019], p.15.

50Idem.

51Idem.

52 Boris Cyrulnik, propos recueillis par Laurence Lemoine, « Sans les autres il n’y a pas de sens », Psychologie.com, 2010, url : https://www.psychologies.com/Moi/Se-connaitre/Bonheur/Articles-et-Dossiers/Donner-du-sens-a-sa-vie/Sans-les-autres-il-n-y-a-pas-de-sens.

53Joseph Ponthus, À la ligne. Feuillets d’usine, op.cit, p.15.

54Pierre-Carle Langlais, Marie-Ève Thérenty, « Le storytelling des écrivains de best-sellers », Olivier Bessard Banquy, Sylvie Ducas, Alexandre Gefen (dir.), Best Sellers : L’industrie du succès. Armand Colin, 2021, p.332.

55Theodor W. Adorno, Minima Moralia. Réflexions sur la vie mutilée, trad.E.Kaufholz & Jean-René Ladmira, Paris Petite bibliothèque Payot, 2016 [[1980 pour la traduction, 1951 pour la version originale], p.27.

56 « L’effort pour concevoir l’environnement et ses populations comme un système intégré a été décisif dans la reformulation des soins médicaux comme une forme de gestion sociale illimitée. La possibilité d’appliquer la notion de ‘‘système’’ à tout et à n’importe quoi – à un patient aussi bien qu’à la terre entière – et quelque chose de nouveau, mais c’est aussi une pratique qui a des conséquences psychologiques. » Ivan Illich, « la société amortelle. De la difficulté de mourir sa mort en 1995 », in La perte de sens,trad. P-E Dauzat, Fayard, Paris, 2004.

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Résilience partout, révolte (littéraire) nulle part