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Payer ses droits — Que l’émigrant soit considéré comme appartenant à une espèce humaine différente est un fait si établi qu’il n’est même plus nécessaire, pour s’en convaincre, de scruter le traitement politique et médiatique de ce que l’on appelle désormais le « problème de l’immigration ».

Dans un monde où tout est réifié, compté, mesuré ; les passeports sont tout aussi affectés de valeurs. Celle-ci se trouvant quantifiée par leur « puissance » ; à savoir la mobilité permise par le passeport, de quelles contrées vous ouvre-t-il les portes, sans ou avec le minimum de conditions, vous offrant, par conséquent, le choix du pays de vie.

Ainsi, le passeport et plus particulièrement la nationalité dont il découle déterminent grandement les conditions matérielles. L’inverse est tout aussi vrai, vérifiable ; les conditions matérielles caractérisent le ou les pays dans le(s)quel(s) on naît, on croît ; on vit. Elles permettent même à celui ou celle issu·e de l’un des pays de la seconde voire la troisième division international d’accéder à la promotion géographique.

Par-delà le droit du sol et du sang, il y a celui du capital.

Si toutefois le capital est absent, la force de travail de travail constitue une bonne base en vue de négocier la possibilité d’accès à un pays nouveau, où il sera possible à l’émigrant de vendre sa force de travail, voire de la monnayer à moins vil prix que dans sa contrée natale.

Si la marchandisation de la force de travail dépend grandement du temps, l’espace n’est pour autant pas absent de l’équation. Vendre sa force de travail en Asie du Sud ou dans le nord de l’Europe ; pas la même histoire. Tout est relatif sous le soleil, pas si uniforme, du capital. D’où la nécessité, pour l’émigrant dont la force de travail se trouve ainsi valorisée dans ce nouveau contexte de montrer patte blanche au pouvoir ; de se plier à l’ensemble des procédures et processus édictés par ce dernier. Il n’a pas le choix ; c’est à prendre ou à laisser.

Pour le ou la démuni·e de capital qu’est le pauvre autochtone, c’est une autre histoire. On ne peut (encore?) proclamer de lois visant à en réduire le nombre. Ce qui n’empêche pas pour autant de procéder de biais, de maximiser l’exploitation, la généraliser. Promulguer des politiques, toujours en défaveur des plus pauvres, participe grandement non pas à la réduction de cette masse, mais à l’annihilation de leur pensée et leur conscience de classe. Le pouvoir ne peut faire sans eux ; il s’y adapte en les adaptant.

Quant à l’étranger ou l’étrangère pauvre, autre catégorie de démuni·e·s de capital, le pouvoir peut en réguler la présence Lois, décrets et autres quotas sont mobilisés à cet effet. Il s’agira également de la manager, cette espèce particulière d’exploité·e. Ça passe par la rationalisation des démarches administratives relatives aux étrangers ; les externaliser et les dématérialiser surtout. Que l’individu ne soit en contact avec aucun interlocuteur (in)direct tout doit passer par le filtre de rendez-vous et autres courriers — électroniques ou papiers. Que le droit au séjour ne s’incarne pas dans un quelconque être humain, mais se cristallise dans une machinerie administrative aussi froide qu’implacable. Rappeler à l’émigrant démuni, au cas où quelques heureuses aventures le lui auraient fait oublier, son rang au sein de l’organisation sociale. Il n’est certainement pas l’égal de l’autochtone. Sa présence dans le territoire doit se justifier et être justifiée ; travail, capital ou reproduction de la chair à travail — les propositions ne sont pas exclusives.

Au sein d’une organisation sociale capitaliste dont l’objet est de viser la totalité marchande — l’atteindre est une tout autre histoire — même ces questions de nationalité et de droits des étrangers s’affadissent face à la marchandisation. En cela, on peut légitimement considérer le capitalisme comme un système parfaitement égalitaire ; égalité conditionnée par la capacité de payer.

Ainsi, depuis quelques années maintenant, se développe une ribambelle de services juridiques visant à fluidifier l’obtention du droit à vivre sur le territoire. Comme on le sait la multiplication d’intermédiaires n’est qu’une des facettes de l’organisation sociale capitaliste. Ainsi s’agira-t-il de requérir les services d’entreprises employant des avocat·e·s qui défendront les intérêts de leur(s) client·e·s. Mise sous pression des services de la préfecture — aux effectifs toujours plus réduits — afin de permettre l’obtention du titre de séjour ou simplement d’en accélérer l’acquisition.

Les détenteurs de capitaux ont toujours eu la possibilité de faire valoir leurs « droits » par des investissements massifs en frais de justice, la menace d’un tel investissement suffit d’ailleurs souvent pour faire céder la partie tierce.

Les plus démunis ne disposent pas d’une telle arme de dissuasion ; mais qu’ils se rassurent : la possibilité de recourir à des services juridiques s’ouvre à eux, à hauteur de leurs maigres ressources. En effet, grâce à l’initiative d’astucieux entrepreneurs, qui ont su repérer le marché du droit des étrangers, ils ont désormais l’occasion de s’offrir des services standardisés pour faire valoir leurs droits, sous réserve de paiement bien sûr. La justice est une offre parmi d’autre, sur un marché.

Par la réification marchande s’opère une énième distinction à l’intérieur même de cette espèce des étrangers et des étrangères. Administration à deux vitesses ; celles et ceux qui payent l’intermédiaire, et les autres qui ne le font pas — ou ne peuvent le faire.

Il ne s’agit désormais plus d’en passer par le cadre associatif, mais de requérir les services d’une entreprise pour faire valoir ses droits. Une privatisation des droits — pas si nouvelle certes — qui éloigne les individus des structures de solidarité collective, les isolant dans une relation marchande où les droits ne sont plus garantis par la communauté, mais monnayés comme des produits.

Par-delà la question du rapport de force entre l’émigrant et le pouvoir du pays dans lequel il désire résider, l’appel à ce type d’entreprises juridiques constitue également une preuve d’adaptation de l’espèce étrangère à l’organisation sociale marchande.

L’étranger, en mobilisant son maigre capital pour accéder à des droits autrefois inaliénables, ne fait que révéler l’étendue de son aliénation. La vente de sa force de travail lui permet, comme tout exploité, d’obtenir les moyens de sa reproduction. Cette reproduction, dans le cas de l’espèce étrangère de l’exploité, non seulement le repos, la nourriture, mais également le fait de payer pour continuer de vivre sur le territoire. Ainsi se trouve-t-il d’autant plus enchaîné à la logique marchande.

Celui ou celle, tiraillé·e par l’incertitude du devenir de son existence, qui succombe à l’intermédiaire montre, d’une part, qu’il dispose d’un certain capital — qu’il a les moyens pour le dire trivialement — et qu’il est tout à fait prêt à le mobiliser en vue de gérer au mieux le portefeuille de ses droits.

Payer ses droits — C’est assez clair pour ne pas te faire perdre ton temps à le prouver ou l’expliquer : l’émigrant est considéré comme une espèce humaine différente.

Dans ce contexte, ce n’est pas tant la couleur de la peau qui compte, plutôt celle du passeport. La nature de ce dernier détermine en grande partie ta destinée.

Hé oui, dans ce monde où tout est compté et mesuré, les passeports ont aussi une valeur. On les classe du plus « puissant » au plus « faible ». Tiens, prends le passeport français : 192 pays inclus dans le forfait, tu peux y aller quand tu veux, en mode pépère. Et puis, vu que t’es français·e, niveau conditions de vie, c’est pas toujours top, mais ça reste « moins pire » que pas mal d’autres.

L’inverse est tout aussi vrai, vérifiable ; quand tu es pété de thunes et que tu vis dans un pays de la seconde ou troisième division internationale, tu peux quand même accéder à une promotion géographique. Pense à ces riches bourgeois algériens, bangladais ou brésiliens, ils peuvent bouger où ils veulent, choisir le pays qu’ils désirent.

Tu vois, par-delà le droit du sol et du sang, il y a celui du capital.

Par contre, si tu es né dans un pays pauvre et que tu es fauché, les choses se corsent. Pour bouger, obtenir des conditions de vie un tant soit peu meilleures, faut trouver une autre monnaie d’échange que l’argent. La solution, le plus souvent, c’est de te vendre, toi : ton énergie, tes compétences, ton temps.

Ce n’est pas comme si dans le pays natal tu ne te faisais pas déjà exploiter, au moins, ici, ça se fera à un tarif plus avantageux.

Hé oui, tout est relatif sous le soleil, pas si uniforme, du capital.

L’émigrant a plus à perdre que ce qu’il peut espérer gagner. On parle souvent d’exploitation du temps, mais rarement de l’espace. Vivre d’un côté de la frontière plutôt que de l’autre change tout. Travailler en Asie du Sud ou dans le nord de l’Europe, ce n’est pas la même histoire.

Du coup, l’enjeu pour l’émigrant est de s’assurer de rester du bon côté. Et pour ça, il doit montrer patte blanche. Se plier à l’ensemble des procédures et processus édictés par le pouvoir du pays où il vit.

Il n’a pas le choix ; c’est à prendre ou à laisser.

C’est essentiellement ça qui le différencie de l’autochtone pauvre. Le pouvoir ne peut pas (encore ?) expulser les français pauvres. Ça ne l’empêche pas de les écraser, de maximiser leur exploitation, en mettant en place des politiques en leur défaveur.

Ces politiques ne visent pas tant à faire disparaître les pauvres, mais à les empêcher de penser. Le truc, c’est de les maintenir dans la précarité, qu’ils n’aient pas le temps, ni l’envie de penser à autre chose. Lutter pour survivre les occupera bien assez.

Et puis, après, il y aura toujours la télé, le cinéma et le divertissement pour colmater les brèches.

Le pouvoir ne peut faire sans les pauvres ; il s’y adapte en les adaptant.

Les étrangers, eux, sont une espèce qu’on peut réguler. L’immigration est une ressource parmi d’autres, il faut la gérer. Lois, décrets et autres quotas servent à ça. À cet effet on peut aussi utiliser des technique plus vicelardes. Pour ne citer que cet exemple, il y a ce qu’on appelle « la rationalisation des démarches administratives ».

Tout au long de ses démarches administratives, l’émigrant n’aura aucun interlocuteur direct ou indirect. À la place, il y aura des sites, des plateformes, il prendra des rendez-vous, enverra et recevra des courriers — électroniques ou papiers.

L’idée est de lui faire sentir que rien n’est assuré. Qu’il restera dans une précarité constante. Lui rappeler qu’il n’est rien, au cas où quelques heureuses aventures le lui auraient fait oublier.

L’émigrant n’est certainement pas l’égal de l’autochtone.

Sa présence sur le territoire doit se justifier et être justifiée ; par le travail.

Ou par l’argent.

Comme on l’a dit plus haut, les bourgeois — quelle que soit leur nationalité — ne sont pas confrontés à ce type de problèmes. Les détenteurs de capitaux ont toujours su acheter leurs droits en investissant massivement, en frais de justice notamment.

Comme tu peux le constater, même ce problème de l’immigration se couche face à la puissance du capital.

La nationalité n’est pas un statut lié à un territoire ou à une culture quelconque ; elle est un service qui s’achète.

Passeport premium ou discount ? C’est selon les capitaux que tu possèdes.

En cela, on peut légitimement considérer le capitalisme comme un système parfaitement égalitaire ; égalité conditionnée par la capacité de payer.

Que les étrangers les plus démunis se rassurent, eux aussi peuvent désormais payer leurs droits : s’ouvre pour eux la possibilité d’avoir recours à des services juridiques à hauteur de leurs maigres ressources.

Grâce à l’initiative d’astucieux entrepreneurs, qui ont su repérer le marché du droit des étrangers, tout un chacun a l’opportunité d’acheter des services standardisés pour faire valoir ses droits.

Du coup, tu ne te contentes pas de la galère — habituelle — de la préfecture, le dossier à déposer et tout. Non, ajoute à ça un nouvel intermédiaire. Une entreprise, elle mandatera un avocat qui mettra sous pression la préfecture, voire la menacera d’un recours au tribunal administratif, et tu pourras alors obtenir ton titre de séjour.

La justice est une offre parmi d’autres.

À partir de là, c’est encore une nouvelle distinction qui se met en place à l’intérieur de cette espèce qu’on appelle les étrangers. Administration à deux vitesses ; celles et ceux qui payent l’intermédiaire, et les autres qui ne le font pas — ou ne peuvent le faire.

Avant, on allait plus volontiers vers des associations. Mais ces dernières sont débordées, ne peuvent aider tout le monde. Pas d’autre solution que de payer une entreprise. Ce n’est pas nouveau, mais ça change tout. Les droits ne sont plus un acquis collectif. Ils deviennent un produit, vendu au plus offrant.

Au-delà du rapport de force entre l’étranger et l’État, recourir à ces services juridiques montre aussi comment l’immigré sait s’adapter aux logiques du marché.

Il prouve, en actes, qu’il a travaillé, a réussi se faire du fric. Il a de quoi payer ses droits fondamentaux.

Il est d’autant plus pris dans la logique marchande.

Un travailleur français paye pour manger, se loger. Le lendemain, il doit être frais et prêt à bosser. L’espèce étrangère subit tout ça de la même manière, mais un élément supplémentaire s’ajoute :

le fait de devoir payer le privilège de se faire exploiter de ce côté de la frontière.

Il est d’autant plus enchaîné à la logique marchande.

Celui ou celle qui, sous la pression de l’incertitude, choisit cet intermédiaire prouve deux choses : d’une part, qu’il ou elle a les moyens, et d’autre part, qu’il ou elle est prêt·e à les mobiliser pour sécuriser ses droits.

Voilà la preuve de son intégration, voire de son assimilation au modèle marchand.

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