Benjamin Fouché - Du concept de féérie2

Benjamin Fouché, Du concept de féérie : Poèmes (matérialistes) de la pensée contre les ordres établis

Du concept de féérie. Fastueux poèmes que nous propose Benjamin Fouché pour son premier recueil, où le poème se fait doublement réflexif, étroitement lié aux luttes politiques.


Benjamin Fouché, Du concept de féérie, Les Presses du réel, coll. Al Dante, 2022, 15€


Du concept de féérie. Développements (de la) logiques, considérations matérialistes autour du poème (et de la littérature), philosophie, écriture, condamnation du pouvoir psychiatrique, mais surtout et avant tout la lutte, les luttes politiques. Voici donc quelques-uns des motifs qui traversent l’écriture du poète Benjamin Fouché. Il les déploie dans ce premier recueil fastueux, admirable d’ingéniosité. Prise directe avec le réel, contre l’organisation sociale actuelle qui nous régit et au sein de laquelle nous (sur)vivons.

Poésie offensive et réflexive, tout à fait lucide quant aux enjeux politiques et éthiques qui traversent notre organisation sociale. Des poèmes ouverts non pas simplement sur le monde, mais avant tout sur les oppressions et les luttes. Le tableau est dressé, dès les premières pages. Face au capitalisme et à toutes les violences qui lui sont inhérentes1 « La poésie n’est pas une solution. » [p.17]

… on ne combat pas l’endogamie la plus crasse avec de l’ornemental rhétorique cousu main : la fuite de Peau d’Âne marque l’anémie du grand L. [la Littérature]
[…] les problèmes de Peau d’Âne sont économiques au sens premier du terme (elle lutte pour tenir un foyer sur la place.)

Benjamin Fouché, Du concept de féérie, p.23.

Poèmes (doublement) réflexifs

Du concept de la féérie ne se veut donc pas un recueil fermé sur la poésie. Ainsi, il se positionne contre la « Littérature avec un grand L », considérée comme un « objet forclos »[p.21]. Une volonté qui se manifeste avant tout dans les dispositifs scripturaux mis en œuvre par Benjamin Fouché. Le recueil annihile les classifications réifiantes opérées en littérature depuis quelques siècles déjà. Et ce d’abord au travers de sa composition qui emprunte à la philosophie et à la logique. Il n’y a qu’à jeter un œil aux 9 parties du recueil pour s’en convaincre. Ça se déploie en Définitions, Axiomes, Propositions (115 en tout)… avec en prime une Démonstration, des Corollaires et des Scholies. À ce sujet, on regrettera l’absence d’un sommaire qui nous aurait permis de saisir d’un seul coup d’œil cette composition et d’ainsi la mettre en exergue :

Définitions
Axiomes
Propositions 1-28 : Lire du Peau d’Âne
Propositions 29-75 : 47 notes pour occuper le mot Raiponce
Démonstration : Pour en finir avec la neige
Corolaires : Signer Kaspar Hauser
Propositions 76-100 : Verbaliser Cul-Cendron
Propositions 101-115 : Attendre le marchande de sable (15 syllogismes)
Scholies : 11 notes pour une enfance capitale

Pour autant, la composition du receuil ne doit nous faire perdre de vue la manière dont Benjamin Fouché use de ces moyens proprement philosophiques et logiques pour faire poème ; des poèmes de la pensée. Ainsi avons-nous affaire à une poésie doublement réflexive. D’abord réflexion du poème, pensant l’écriture dans et par l’écriture. Réflexion tout court, dans la mesure où elle pense cette organisation sociale dans laquelle nous subsistons, malgré tout.

Une écriture attentive donc, critique à l’égard d’une certaine production poétique bien actuelle, avec ses procédés d’écriture stéréotypés  : « vous pouvez toujours faire des phrases autour du soleil qui poudroie ou de l’herbe qui verdoie. Quand bien même ça serait littéral on finira par vous égorger. » Manière de mettre en exergue l’inanité de cette poésie détachée du monde social politique, ancrée sur une représentation réifiée de la nature et se présentant, en prime, comme écologique. Parce que s’il y a bien quelque chose qui poudroie, dans Du concept de féerie, ce sont plutôt les « lacrymos (…) dans les insurrections basse intensité. » [p.11]

Une féerie2 n’est pas là pour enchanter des formes de vie. En face des grenades GLIF4 des drones des LBD il serait tout à fait vain voire puéril de redéployer du politique au sein des contes (ou bien d’injecter du merveilleux dans les combats).

Benjamin Fouché, Du concept de féérie, p.17

Pour une féerie autre, de la féérie ?

L’autre force de Du concept de la féérie est que la poésie, la littérature et le conte ne sont pas considérés comme de simples ornements, anhistoriques, détachés de leurs conditions matérielles et de production3 et de lecture. En témoigne la façon dont Benjamin Fouché appréhende certains contes, notamment celui de Peau d’Âne qui « n’a jamais vraiment été une histoire mais plutôt une contre-fiction ; la peau d’un récit pleine de trous, ouverte à toutes formes d’appel d’air, et dans laquelle chaque époque souffle comme elle peut. » [p.21] Ou encore la lecture, et donc la réécriture, marxiste (marxienne?) qu’il fait de Raiponce ou de Cul-Cendron [Cendrillon] ; le dernier conte nommé se muant en garde à vue de manifestante.

Le fait d’appréhender de la sorte ces contes dans et par lesquelles nous avons cru – fait notre croissance – a bien évidemment une portée éminemment politique. La manière dont l’opère Benjamin Fouché va bien au-delà de la simple question de la représentation, car comme nous l’avons vu avec Raewyn Connell, le corps n’est en aucun cas à considérer comme un terrain neutre. En effet, il ne s’agit pas simplement de diversité, d’équilibrer les représentations ; la réflexion va bien au-delà, elle se veut radical, touchant à la racine de oppression ; le capitalisme et l’organisation sociale qui lui est inhérente.

Face à la bourgeoisie qui s’est rendue maîtresse de l’espace, qui en a fait une force productive, il manque encore une enfance à faire une enfance qui s’affronte à cette production, qui s’entête et qui se bouleverse en changeant la ville, – enfance sans être ni propriétés, à la limite du fait, de l’évènement, à la limite de l’action des corps : souple élastique animale –, une enfance tactique prolétaire, aussi fluide et dynamique que le capitalisme lui-même.

Benjamin Fouché, Du concept de féérie, p.114

Loin de se cantonner à cette question des contes, Du concept de féérie puise dans l’imaginaire collectif, avec notamment la figure de Kasapr Hauser – évoquée avec Crash Memory. Benjamin Fouché tisse son recueil dans et par le réel, celui de nos organisations sociales mortifères. Usant, au passage, de certaines de ses figures de proue, qu’il s’agisse d’un entrepreneur « devenu milliardaire après avoir investi dans les peep-show et le minitel rose » [p.41] ou encore ce grand patron de l’industrie du luxe, un certain Bernard. A…

Mais s’il est une chose à retenir, c’est surtout la manière dont le poète s’empare des luttes et de l’action politiques, car comme il le soutient avec justesse : « il n’y aura aucune féerie non aucune si nous échappons au temps réel ». [p.9]

1Qu’elles soient racistes, misogynes, validistes…etc.

2On notera par ailleurs la manière astucieuse dont Benjamin Fouché joue avec les diverses graphies du terme, tantôt orthographié « féérie », sur la couverture notamment, et « féerie ». Manière de nous indiquer que la langue vit, qu’elle n’est en aucun cas figée ?

3« Considérer la phrase comme un objet aussi matériel que son doigt. » [p.17]


À propos de

Ahmed Slama est écrivain (Remembrances, 2017 ; Orance, 2018) et développe une activité de critique offensive, par des textes et des vidéos, qu'il diffuse principalement sur le site litteralutte.com. A publié, entre autres, Marche-Fontière aux éditions Les presses du réel, collection Al Dante, à commander pour soutenir l'auteur, sa chaîne et le site Littéralutte. À lire la revue de presse de Marche-Frontière.


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